Comment expliquer psychiquement le sentiment d’insécurité ?
Il faut déjà se demander comment on va analyser ça du point de vue des sciences humaines. On va utiliser différents outils à notre disposition. Par exemple en regardant le contexte économique. L’insécurité naît dans un contexte particulier. Ce sentiment d’insécurité est lié à différents facteurs. Il y aussi les côtés psychologiques et éducatifs. Le dernier volet, c’est vraiment le côté sociologie. On peut développer ces différentes approches pour comprendre le contexte Guyanais.
Pour le volet économique, l’insécurité en Guyane et le terreau social de pauvreté du territoire sont deux sujets connexes ?
C’est le premier aspect. Toutes les sociétés connaissent la délinquance, avec plus ou moins d’importance. Le contexte économique est particulièrement intéressant pour comprendre le phénomène en Guyane, mais c’est une seule entrée. Dans le contexte actuel, les chercheurs analysent d’abord l’insertion professionnelle. Nous sommes dans une société très hiérarchisée. On voit bien que pour s’insérer dans cette société il faut faire ses preuves. Plusieurs « rites » de passages ont été inventés, comme le diplôme du baccalauréat, plus généralement les différentes étapes imposées pour réussir. C’est un filtre. Mais ce filtre pose problème dans certaines sociétés d’un point de vue économique parce qu’il faut que tout le monde puisse avoir les mêmes moyens d’action et d’expression. Et on n’a pas tous les mêmes moyens. Tout le monde n’a pas les mêmes capacités de faire durer sa scolarité par exemple ou même d’être scolarisé. Il peut même être encore plus difficile de poursuivre une formation professionnelle. C’est un premier filtre.
Le deuxième souci qu’on va rencontrer, c’est la compétition. La société occidentale est très compétitive et les règles du jeu sont établies par un groupe dominant, celui qui possède le pouvoir économique, juridique, sociologique. Ce groupe dominant fixe les règles, qui correspondent à son propre groupe en réalité. Pour réussir sa scolarité par exemple, il faut avoir une bonne maîtrise de la langue française. On part du principe qu’on a les mêmes chances, mais en réalité on ne les a pas.
Des inégalités qui sont exacerbées en Guyane ?
Oui, par rapport au contexte guyanais, ce sont des obstacles qui peuvent devenir insurmontables. La déscolarisation, l’insertion économique et le fait qu’il y a moins de chances de pouvoir se réaliser sont des facteurs importants pour comprendre ces phénomènes. Le monde économique produit des d’inégalités et engendre une marginalisation, parfois de masse. Il produit un sentiment d’amertume. Et on retrouve de la violence et des conflits qui vont produire de la délinquance.
La frustration engendre la délinquance ?
Elle n’engendre pas réellement de la délinquance. Il faut s’intéresser à ce que signifie cette frustration pour l’individu. On peut avoir de la frustration et pas forcément aller vers de la violence. C’est ce que beaucoup d’études mettent en évidence. On peut voir que certains vont compenser cette frustration, notamment avec la consommation abusive de substances. D’autres vont transférer cette frustration en excellant dans certains domaines, comme dans l’art, le sport, une activité professionnelle.
Les règles établies par le modèle dominant sont trop en décalage avec la réalité du territoire Guyanais ?
Oui. Regardez les chiffres. On a le taux de chômage féminin le plus élevé de toutes les régions de France (44%). C’est un élément clé dans l’insertion des enfants. Il n’y a pas que les femmes. C’est aussi la cellule familiale générale qui importe. Le premier élément dans la socialisation est la famille. La deuxième instance, ce sont les autres enfants rencontrés et les groupes qui peuvent permettre de s’insérer, les clubs de sports, syndicats, associations…
A partir de là, lorsqu’on est dans une société où on va retrouver 63% de la population qui n’est pas née en Guyane, ce n’est pas forcément un frein, mais ça peut devenir un obstacle. Un jeune né à l’étranger n’a pas forcément le même réseau que ses camarades qui sont nés en Guyane. Si on prend le cas de la Guyane, avec les divisions ethniques des activités professionnelles, lorsqu’on veut s’insérer dans un secteur d’activité particulier, certaines intégrations sont confrontées à des confiscations historiques par un groupe.
Quelles sont les solutions qui pourraient être envisagées pour sortir de ce modèle ?
En sociologie on a des éléments qu’on pourrait activer. Pourquoi il y a tant de violence ? C’est parce qu’on a vraiment dépersonnalisé les rapports sociaux. On est dans une société où cette dépersonnalisation est un terreau favorable à la naissance de la violence. Quand on n’existe pas dans la société, on a plus de facilité à transgresser la loi. Plus de difficultés à s’insérer donc plus de facilités à transgresser. Ces rapports, ces liens se sont complètement effacés dans notre société guyanaise. On doit travailler à resserrer les liens au niveau micro-social sur la notion de famille, de commune, de vie en société… Quand on écoute les revendications, les gens n’ont pas tellement envie de toute cette mondialisation, ils veulent vivre agréablement.
Dans l’histoire de la Guyane, à plusieurs reprises, les liens sociaux se sont complètement relâchés parce qu’ils sont fondés sur la famille, la vie communautaire, la vie coutumière. On voit de plus en plus émerger dans les propositions culturelles un retour aux sources, une envie de dire qu’on s’aime, qu’on aime la Guyane. La clé, c’est la revalorisation des connaissances détenues au sein de la cellule familiale. Les places des familles ont été trop longtemps oubliées en Guyane. On a trop confié à d’autres institutions comme l’école en pensant que c’était la solution. Beaucoup de générations ont quitté les foyers familiaux pour vivre dans des pensionnats et on a vu les effets pervers de déstructuration que ça peut causer au sein de la cellule familiale, qui se retrouve dépouillée de ses valeurs et de son rôle.
Ce qui crée réellement une fracture ?
Le problème chez nous est là, dans le point qu’on vient d’aborder. On se retrouve dans une situation où on a une société qui hérite des valeurs occidentales sans les connaître et, parallèlement, on a toujours ce mode de vie très coutumier et traditionnel. On est tiraillé. Il faut réconcilier les deux par la revalorisation des savoirs familiaux et traditionnels. Comme par exemple avec les langues régionales, qui sont aussi un attachement au sol, un lien affectif très fort.