La mise en garde à vue il y a une semaine du Yopoto Sjabère du Village Prospérité a grandement choqué et indigné les instances coutumières Kalina et Lokono de Guyane. Une réunion exceptionnelle a réuni la plupart des chefs de ces deux communautés autochtones hier samedi. Un appel collectif aux 6 nations du territoire est lancé.
Pour rappel, les forces de l’ordre étaient venues en nombre lundi dernier, dans le petit village situé à 10 km de Saint Laurent du Maroni, interpeller le chef coutumier Roland Sjabère, ainsi que 3 autres hommes du village, afin de les entendre sur des dégradations commises sur le matériel du chantier de la CEOG, projet controversé d’implantation d’une centrale électrique pour l’ouest guyanais. Le Yopoto avait été entendu plus de 12 heures à Sinnamary, les 3 autres hommes à la gendarmerie de Saint Laurent du Maroni.
La méthode de ce dispositif au cœur de la communauté l’indigne et soulève chez ces grands hommes et femmes représentant leurs pairs, la question du respect de « l’autorité » qu’ils entendent continuer d’incarner, mais aussi tout simplement du respect de la voix citoyenne, de l’humain.
Un projet à l’implantation polémique.
Roland Sjabère tient à rappeler une nouvelle fois qu’avec ses pairs, il ne s’oppose pas au projet de fourniture d’énergie pour le territoire de l’ouest. Il s’oppose au projet en l’état, plus précisément à son implantation intrusive et forcée sur la zone qui jouxte son village.
Ce qu’il refuse, tout comme l’ensemble des chefs présents. « Ce refus a été exprimé officiellement lors de l’assemblée plénière du Grand Conseil Coutumier (GCC) du 14 mai 2021 » précise Christophe Yanuwana Pierre, icône militante et porte-parole du mouvement Jeunesse Autochtone de Guyane.
Ce que confirment Jean-Philippe Chambrier, secrétaire général du GCC et Sylvio Van der Pilj, chef du village Balaté, tous deux siégeant au collège du Grand Conseil pour les communautés amérindiennes, et venus une nouvelle fois soutenir le Yopoto de Prospérité.
Roland Sjabère déplore avoir subi pendant des mois un harcèlement de la part des porteurs du projet CEOG, pour obtenir sa signature d’un pré-accord conjugué au conditionnel, duquel il aurait pu se rétracter sous 3 mois. Conseillé par un avocat étonné par ce type de document pour un tel projet, il avait pris le temps de la réflexion et de la recherche pour pouvoir donner un « non » éclairé et argumenté. Ce que rejettent aujourd’hui les représentants du projet CEOG.
Aucun accord définitif n’aurait quant à lui été signé.
La fin annoncée des méthodes pacifiques.
Le ton est donc très remonté chez chacun des chefs, qui s’expriment les uns après les autres. Les deux générations de chefs se rejoignent sur l’arrêt des échanges diplomates sur ce type de dossier.
Le non-respect de la parole exprimée, des engagements promis ou des zones occupées par les communautés amérindiennes, sont autant d’atteintes aux principes amérindiens et qui confortent la communauté dans ce changement de paradigme.
Pour le chef Sjabère, peu importent les dégâts matériels, rien n’a plus de valeur que la forêt, qui est détruite chaque jour sans le consentement des citoyens amérindiens par les machines du projet CEOG. Lieu de chasse, de pêche et de cueillette de plantes médicinales pour la communauté, la forêt est au cœur du mode de vie amérindien. La question de la souveraineté des peuples autochtones va de pair avec l’usufruit qu’ils en ont traditionnellement.
Les limites du Grand Conseil Coutumiers révélées.
Organe consultatif composé de deux collèges (Bushinenge et Amérindien), le GCC a vocation à défendre les intérêts juridiques, sociaux, économiques et environnementaux des communautés autochtones.
L’absence de pouvoir décisionnel accroît sa difficulté à se faire entendre et à faire respecter ses positions. Le dossier CEOG est le point d’achoppement de trop.
Jean-Philippe Chambrier souhaite qu’une réflexion soit faite autour de cette problématique.
« Il faut que le Grand Conseil Coutumier puisse évoluer, qu’une réforme soit faite. Il faut arrêter qu’on ait le seul rôle de consultant. Il faut qu’on ait un rôle décisionnel. »
Un appel aux 4 autres nations amérindiennes de Guyane est lancé. Celui d’hommes et de femmes qui s’annoncent tels des guerriers, comme au temps du discours prononcé par Félix Tiouka le 09 décembre 1984, à l’occasion du 1er congrès des Amérindiens de Guyane Française, à Awala.
L’écho de ce discours résonne dans celui tenu près de 40 ans plus tard par l’assemblée à Prospérité. La souveraineté des peuples autochtones sur ses terres d’usage collectif est pour eux bafouée et ils n’entendent pas courber l’échine.
Les questions du foncier, de l’exploitation des ressources, du respect des droits coutumiers sont toujours d’actualité, en 2022 plus que jamais, et ce dans toutes les communautés de Guyane.