« La rétention doit rester l’exception », martèle l’inter-association à l’origine du rapport annuel sur les centres de rétention administrative. Après deux années marquées par la crise sanitaire, le nombre de personnes placées au CRA de Matoury a augmenté, conformément au bilan national, passant de 958 en 2021 à 1207 en 2022.
Le rapport annuel « confirme un recours banalisé à la rétention, de manière trop souvent abusive et parfois dans des conditions indignes ».
En Guyane, 72,6 % des personnes conduites au CRA étaient en partance pour un pays voisin (59,9 % des interpellations se sont produits aux frontières) ou en attente d’un avion pour l’hexagone (12,7 % des interpellations ont eu lieu à Félix-Eboué).
38,3 % de personnes « éloignées »
En attente de la mise à exécution de la mesure d’éloignement à l’origine du placement, matérialisée dans 93,5 % des cas par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), les personnes privées de liberté dans ce centre qui compte 45 places y ont, en moyenne, passé 3,5 jours en 2022. La durée de l’enfermement est limitée à 90 jours.
À l’issue, 38,3 % des personnes enfermées ont été renvoyées dans leur pays d’origine. D’après la Cimade, il s’agit majoritairement de ressortissants brésiliens et surinamais. « Des expulsions qu’on dénonce pour leur absurdité compte-tenu de la porosité des frontières, leur coût pour l’administration, mais aussi pour les conséquences familiales engendrées chez les personnes concernées » déplore Jeanne Thibaut, intervenante juridique.
Néanmoins, les ressortissants brésiliens et surinamais représentent tout juste 36 % des personnes enfermées au centre de rétention (327 Brésiliens et 110 Surinamais en 2022). L’an passé, ce sont les ressortissants haïtiens qui étaient, en moyenne, les plus nombreux au CRA de Matoury. Selon la Cimade, 452 ressortissants haïtiens ont fait l’objet d’une mesure de rétention administrative. Un « acharnement » pour l’association, qui souligne dans son rapport le caractère dangereux des « expulsions dans un pays en pleine crise ». Au 3 novembre 2022, le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, avait appelé les États à « s’abstenir de renvoyer les ressortissants haïtiens. »
Une expulsion vers Haïti en 2022
« Après la pandémie de Covid-19 et malgré la réouverture des frontières, les liaisons aériennes étaient restées dégradées entre Cayenne et Port-au-Prince. Le nombre de ressortissants haïtiens enfermés au CRA avait diminué et surtout les expulsions étaient restées inexistantes. En 2021, 390 haïtiens avaient tout de même été enfermés, sans qu’aucun éloignement ne puisse être réalisé. En 2022, des vols réguliers vers Haïti ont repris et l’enfermement des personnes haïtiennes a augmenté avec 452 ressortissants enfermés. Une seule expulsion a été exécutée, preuve de l’entêtement de l’administration à priver de liberté des personnes étrangères sans perspective réelle d’éloignement, contrairement à ce qui est prévu par la loi. » écrit la Cimade.
En septembre 2022, Monsieur M., un ressortissant haïtien qui sortait de prison, a été le premier expulsé vers Haïti depuis 2020.
Avec la reprise du trafic aérien, la Cimade craint désormais « une hausse des expulsions vers Haïti pour l’année à venir ».
Dérogation
Au regard du bilan 2022, pour la Cimade en Guyane, l’augmentation du nombre de personnes enfermées est le voyant rouge d’une politique jugée « répressive ». Selon Pauline Raï, responsable de la régulation de l’action en rétention pour l’association, la préfecture affiche une volonté « d’enfermer à tout prix ».
La « menace à l’ordre public » serait ainsi devenue un « critère prépondérant à l’enfermement et à l’expulsion ». Ce qui pose un problème de fond, souligne Pauline Raï : « la définition de trouble à l’ordre public est floue puisqu’elle n’est pas définie clairement par la loi et la jurisprudence ».
« Si les accès en préfecture étaient plus simples, ces personnes pourraient bénéficier de titre de séjour » assure la responsable associative.
En Guyane, le recours contre une mesure d’éloignement n’est pas « suspensif ». Une disposition du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) également en vigueur en Guadeloupe, à Mayotte, à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin.
Résultat : « en général, la personne est expulsée avant d’être présentée à un juge » constate Jeanne Thibaut, intervenante juridique.