À l’occasion de la cérémonie des vœux du Cnes 2023, deux spationautes étaient mis à l’honneur : Thomas Pesquet et Matthias Maurer, astronaute allemand. Tous deux ont accepté d’accorder de leur temps pour un échange.
Est-ce qu’un jour, il y aura des lancements humains depuis Kourou ?
Matthias Maurer : Jusqu’à maintenant, l’Europe n’est pas encore capable d’envoyer ses propres astronautes vers l’espace sur des fusées européennes. Mais on aimerait bien changer ça. C’est pour cela que Thomas [Pesquet] et moi sommes ici, avec des experts, pour discuter s’il y a une option. Et comment faudrait-il faire une recommandation au gouvernement européen.
Thomas Pesquet : Évidemment, on n’est pas prêt à décoller demain, mais c’est une vraie volonté qu’on a. C’est à la fois un rêve et quelque chose dont on serait capable techniquement. Mais ce n’est pas une décision qui est facile, elle n’implique pas que la Guyane, pas que la France. Aujourd’hui, on pense que l’Europe est un peu plus mûre et on voit bien qu’on est entouré de crises. Il s’agit de trouver l’identité qu’est la nôtre dans le monde et cela pourrait cristalliser une identité européenne.
Vous étiez déjà sensibilisé à l’écologie ou c’est en partant dans l’espace qu’il y a eu un déclic ?
T.P : À mon époque, ces sujets n’étaient pas aussi présents qu’aujourd’hui. Maintenant, quand t’as 20 ans, c’est quelque chose qui fait partie de ton mode de fonctionnement. Et à mon époque, ce n’était pas le cas, c’était juste comme ça. En termes de société, on n’en était pas là. Ma compagne bosse pour les Nations unies donc on parlait de ces choses-là, ça commençait à entrer dans les discours et j’étais un sensibilisé à ça.
Mais la vraie différence, c’est que tu peux comprendre avec ta tête et mettre des chiffres sur une augmentation de la température, etc. Mais ça ne parle pas, car ce sont des phénomènes globaux qui te dépassent. Et quand tu vas dans l’espace, tu prends le recul nécessaire pour mettre ces phénomènes-là à l’échelle humaine, et là, tu peux le ressentir, en faire l’expérience avec tes sens.
Quand on va dans l’espace, on est préparé à la peur immense de l’infini ?
T.P : Non, il y a plein de choses auxquelles on doit être formés, puis on reste au voisinage de la Terre. Mais c’est une bonne question dans le sens où quand on va aller sur la lune ou sur Mars et qu’on va se retrouver suspendu sans aucune référence. On perd la Terre de vue, on n’a pas de destinations en vue, on est vraiment suspendu au milieu de rien avec pas grand-chose, avec ni la sensation d’avancer ou de reculer… Là, il va falloir être un petit peu fort dans sa tête. Là, il va falloir se poser la question, mais c’est peut-être pour la prochaine génération d’astronautes.
Que retenez-vous de votre rencontre avec les jeunes ici ?
M.M : Tous étaient vraiment intéressés de savoir comment, nous, astronautes, on travaille. Comment on vit dans l’espace. C’est avec grand plaisir que j’ai pu expliquer ça avec Thomas [Pesquet]. Et toujours, quand je vois les jeunes avec les yeux grands ouverts, je sais qu’ils commencent à rêver sur l’espace et ils sont fascinés. Et ce sont eux, qui sont notre avenir !
T.P : Parfois, on perd un peu de vue ce côté exceptionnel du métier, car c’est notre quotidien, notre routine. Mais c’est dans le regard des gens et surtout des jeunes… ça te rappelle que c’est exceptionnel ce que tu as la chance de faire et ça te redonne une motivation. Tu te revois toi-même petit quand tu avais ce regard-là.
Retrouvez l’entretien avec le Président du Cnes, Philippe Baptiste, dans notre prochaine édition.